Histoires Des Invités

 

Le Loup 3

Par Arkann

 

Le coup vint, presque paresseusement. Je l’encaissai sans grande douleur, même si le dur coup de matraque au ventre me coupa le souffle.

« L’épinglette. » La main du directeur de prison était toujours tendue, son ton demeurait poli. Le gardien qui m’avait frappé me donnait le temps.

J’en étais presque malade. Les réflexes revenaient. Je regardais vers le bas, soumis comme le plus faible des loups. Ici, je n’avais pas droit à la fierté, à la confiance en soi. Je n’avais pas droit à ma possession la plus précieuse, mon épinglette.

C’est avec un goût de bile dans la bouche que je la défis et la posai dans la main tendue. Le Directeur en prit soin d’une manière irréprochable, la posant dans un écrin portant mon nom, et la mettant dans la boîte contenant mes effets personnels.

Le second coup vint sans avertissement, rapide. Je me retrouvai à genoux, tentant de respirer.

« La queue, Prisonnier. Entre les jambes. »

J’avais oublié. Non. Je n’avais pas oublié. J’avais fait le choix. J’étais innocent.

« Vous, les loups, vous êtes trop fiers, surtout les dominants. Ravale ta fierté, Prisonnier. Ici, la fierté n’a pas sa place. » Le Directeur me disait cela calmement. Presque les mêmes paroles que la dernière fois que j’étais revenu. Ou la fois d’avant.

Je me remis debout. Forcer ma queue entre les jambes me prit toute ma volonté.

Le Directeur s’assit, les mains sur son bureau. « Sache, Prisonnier, que nous sommes tous très fiers de toi, de ce mérite que tu es allé chercher. Malgré tes défauts, tu es une source d’inspiration, un exemple à suivre. Lorsque nous avons appris la nouvelle, j’ai décrété une journée de repos en guise de célébration. »

« Ta détermination est ta force. Ta fierté, ta faiblesse. Avec les loups, fierté et détermination sont souvent une seule et même chose. » Un moment de pause, puis, « penses-tu avoir besoin de te faire battre et envoyer au trou, ou as-tu appris des dernières fois? »

Un frissonnement de révulsion me traversa. Révulsion à l’idée d’une reddition sans résistance, révulsion à l’idée d’aller au trou en sachant que j’allais éventuellement plier.

« J’ai appris, Directeur, » je lui dis, avec toute la soumission dont j’étais capable.

« Pas convaincant. Mais j’aime donner la chance au coureur. Ta main. »

Je tendis la main droite, et il mit la clef de ma cellule dans ma paume.« Bonne chance, Prisonnier. Il te reste un mois avant de redevenir Citoyen. Je te connais bien. Tu vas mériter le trou dans les jours qui viennent. J’aimerais bien que tu me fasses mentir, que ce dernier mois se passe sans anicroche. »

Il n’y avait qu’une réponse possible. « Merci, Monsieur le Directeur. »

**

Ma cellule. Elle n’avait bien sur pas changé. Petite, assez pour rendre un loup inconfortable sans que cela verse dans la cruauté. Il y avait plusieurs modèles de cellule, pour convenir aux besoins des diverses espèces. La mienne avait un poteau dans un coin extérieur, proche de la grille. Chaque jour, un gardien venait uriner sur ce poteau, marquant mon territoire comme étant le sien. Une pression psychologique importante. Les fois ou j’avais marqué ce poteau de mon odeur, j’avais été battu et envoyé au trou.

Des conditions misérables.

Après avoir barré ma porte, je défis le sac contenant les quelques effets qu’il m’était permis d’avoir. J’étais fatigué après près de vingt heures de transport et d’aéroport. Il faisait trop chaud –à dessein- et ma couchette était aussi inconfortable que je me rappelais.

En principe, je n’avais aucun problème avec l’inconfort, les punitions, les mesures disciplinaires, mais tout cela était combiné avec la pression psychologique, qui visait à faire plier un prisonnier, à l’affaiblir, afin que son temps en prison soit le pire moment de sa vie, pour qu’il ne veuille jamais revenir en prison, et pour le rendre malléable à son superviseur lors de son processus de réinsertion. Typiquement, un criminel non violent avait une chance : admettre son crime, demander pardon, jurer de ne plus jamais briser la loi, et être suivi par son agent de probation. S’il commettait à nouveau un crime important, la justice tombait sur lui de tout son poids.

Un mois.

Un mois à endurer.

Juste un mois.

Impossible. Pas en étant innocent, pas après avoir vu ma confiance en soi remontée comme elle venait de l’être. Un loup, innocent, sans reproche.

Le lendemain, alors que nous étions formés en rangs quasi militaires, on appela mon nom, on me fit avancer devant la centaine de prisonniers. À un ordre, tous les prisonniers levèrent leurs yeux pour me voir administrer la correction que j’avais mérité en ne baissant pas les yeux, en n’abaissant pas la queue.

Ils me donnèrent une chance de corriger ma position. Ils suivaient la procédure, connaissant très bien la réponse que je leur donnerais. Après, ils prirent les matraques caoutchoutées, et me battirent. Des coups solides, calculés, le médecin de la prison en présence. Ils arrêtèrent après un temps pour me faire relever. Une chose difficile. Ils me demandèrent si je me repentais. Comme je ne le faisais pas, ils recommencèrent. Lorsqu’ils arrêtèrent, je ne pouvais plus me relever. Ils me demandèrent si je maintenais ma position. Après confirmation, ils me mirent sur une civière, et me laissèrent au trou.

Le trou, une pièce sombre à peine plus grosse qu’un cercueil, avec une petite porte menant à l’unité sanitaire et le lavabo, ou je ne pouvais rester plus que quelques minutes chaque jour.

Tout cela je pouvais endurer, même les dimensions réduites que j’avais appris à tolérer. Ce qui était dur, comme toujours, était le coté brutalement psychologique. La pièce était sèche, irréprochablement propre, mais elle était située à l’étage juste en dessous de la toilette des gardiens. Dans la noirceur, entendant les sons chaque fois qu’une chasse d’eau était tirée… et avec les tuyaux d’égout à quelques pouces de moi… un loup ne pouvait longtemps endurer cela. Mais j’étais innocent, fier, et je résistais de toutes mes forces.

On m’offrit de me repentir. On m’offrit même certains adoucissements.Réfugié dans ma forteresse, déterminé à passer mon dernier mois sans céder, je refusais à chaque fois.

L’orgueil est un vilain défaut. On ne se bat pas contre un Directeur ayant des dizaines d’années d’expérience à ce petit jeu.

La deuxième nuit, la porte s’ouvrit.

« Nos plus abjectes excuses, madame. » La voix du gardien était pleine d’un profond malaise, et je savais déjà que j’avais perdu. Mes paroles, mes supplications ne faisaient que rendre le gardien méchant. Il me donna un violent coup de pied.

« Tu aurais dû y penser plus tôt, Prisonnier, » il me dit avec une hargne furieuse. Puis, à celle que je ne pouvais voir, « nous sommes désolés, Citoyenne. » Ses excuses étaient sincères.

« Vous faites votre travail, Gardien. J’imagine qu’on ne peut s’attendre à beaucoup de décence de la part d’un traître. Je vous pardonne. » Les paroles étaient froides, furieuses.

Le silence du gardien était lourd, alors qu’elle s’agenouillait, forgeait sa volonté. Puis rampa à l’intérieur avec moi. Mon humiliation était totale. Mon orgueil avait mené à cela.

J’ouvris la bouche pour lui demander pardon, mais elle m’asséna un coup de coude, puis une gifle. Elle n’avait pas assez d’espace pour que ces coups fassent mal. J’aurais aimé avoir mal d’une douleur physique.

« Assez, Prisonnier. Déjà inacceptable que cela se passe avec un traître, mais que cette importante nuit qui se devait d’être mémorable se passe dans un… dans un… » Il y avait de la rage dans sa voix. « Commençons. Plus vite commencé, plus vite terminé. »

Je ne pouvais la voir, mais je sentais la texture de ces vêtements, et l’odeur de son parfum importé de grande qualité m’indiquaient qu’elle avait fait beaucoup pour faire de cette soirée une chose très spéciale. Je pouvais sentir son odeur, je la savais fertile. Comme toute louve depuis que la secte d’Anktil avait frappé avec son virus, elle devait prendre le loup qui lui était rendu disponible par le gouvernement si elle ne pouvait en trouver un par elle-même, ce qui était le cas pour la grande majorité d’entre elles.

Une nuit sans joie, sans parole. Des mouvements dans le noir. Une nuit endurée.

Rien de bon.

Je voulais lui expliquer, je voulais connaître son nom afin d’un jour trouver le moyen pour me faire pardonner, mais je n’osais pas.

Une raison de plus pour un jour prouver mon innocence. Elle me pardonnerait, alors, même si je ne la revoyais jamais.

Elle s’en alla au petit matin. Quelques minutes plus tard, j’étais hors du trou. J’admis mes torts, je présentai mes excuses au gardien, au directeur. Le mois passa lentement, mais sans incident.

**

Le cerf me versa une tasse de thé, puis fit de même avec la sienne. Il était vieux, presque quatre-vingt ans. Des bois développés, un port altier, des yeux perçants.

Une personne redoutable. Son épinglette listait les mérites qu’il avait gagné, les épreuves survécues. N’importe quelle mâle qui survivait toutes ses épreuves était une personne solide. Il avait été officier. Il avait été cadre supérieur. Il y avait aussi cette marque noire, indiquant qu’il avait commis un crime de nature financière, s’était repenti. Cette marque était encadrée des quatre segments qui indiquaient que ce crime était maintenant complètement épongé, qu’il était une personne totalement respectable.

C’était mon Agent de réinsertion. Son nom serait mêlé au mien. Il engagerait sa réputation pour m’aider à rebâtir la mienne. Il m’aiderait à trouver un emploi. Il m’encadrerait, me suivrait, me garderait dans le droit chemin. Sa bonne réputation n’avait rien à craindre de moi, mais il ne pouvait le savoir.

« Tu ne te repentiras pas, on me dit. » Sa voix était grave, un peu sévère.

« Non, Monsieur Tokel. »

« Parce que tu te dis innocent. »

« Oui. »

Un moment de silence. Puis, « tu comprendras que cela ne me rassure pas. »

« Oui, Monsieur Tokel. » J’étais tendu. J’allais vraiment avoir besoin d’un agent doté de bons contacts, d’une réputation à toute épreuve, puisque mon clan ne m’aiderait pas, ou peu.

Il prit sa tasse, goûta au thé. Je fis de même.

Un long moment de silence, à me regarder, à m’étudier. Puis, « c’est bon. Je vais te prendre. Tu devras m’obéir. »

Un grand soulagement. Sa réputation était bien connue. « Oui, Monsieur Tokel. »

Il me vit hésiter. « Oui? »

« Pourquoi me prendre? Je ne me prendrais pas. »

Il eut un autre long moment de silence. J’étais patient. « Tu es innocent, ou tu ne l’es pas. Si tu ne l’es pas, tu as dépensé beaucoup pour ne pas l’admettre. Peut-être as-tu appris à ne pas briser la loi. Et puis, peut-être dis-tu vrai. »

J’étais grandement surpris. « Vous le pensez? »

« Le doute existe. Il survit dans le cœur du Capitaine Elzéar, qui a officiellement laissé tomber son état de guerre déclarée avec toi. Je l’ai rencontré, et il me dit être toujours ton ami, et croit t’avoir fait injustice. » Il prit une lettre, la glissa sur la table vers moi. « Il t’écrit. Il est présentement en route vers Ixo, ou son régiment sera déployé. Ce doute n’est pas un doute dans le cœur de ta mère, de tes sœurs, mais une certitude. Ta mère m’a convaincu que je devais te prendre. »

J’étais frappé. Elzéar. Elzéar, avait fait Capitaine en cinq ans. Elzéar me comptait toujours comme un de ses amis. Et puis ma famille… je pleurais d’une joie indicible.

Le cerf me tendit un mouchoir, m’offrant pour la première fois l’ombre d’un sourire.

« J’ai des contacts. Ton cas est particulièrement difficile. J’ai approché des amis. Tu n’auras pas de travail à la fois payant et intéressant, mais je te trouverai du travail. » Il se leva. Je fis de même.

« Je viendrai te chercher à ta sortie. »

**

Libre.

C’était une sensation quasi étrange. Je ne portais plus l’uniforme de prisonnier qui causait tant de démangeaisons, mais de nouveaux vêtements. Ceux que j’avais avant d’entrer en prison ne me faisaient plus, trop étroits. J’étais plus costaud, par beaucoup.

Le directeur me tendit l’écrin ouvert contenant mon épinglette. « Tu n’es plus prisonnier, Citoyen. Garde le droit chemin. » Il avait un grand sourire, manifestement heureux pour moi.

« Merci, Monsieur le Directeur. » Pour la première fois, je pouvais le regarder dans les yeux sans m’attendre à des représailles.

Je pris mon épinglette. Elle avait une nouvelle marque, sous la marque noire de ma condamnation, qui indiquait que j’avais terminé mon terme de prison, que je n’étais pas repentant, et que le long processus de ma réhabilitation complète commençait.

Je la fixai à mon col roulé. Je me sentais… étrange, mais bien.

Il prit la boîte de mes effets personnels, me fit signer un papier comme de quoi tout y était, puis il me serra la main, en me donnant quelques ultimes conseils. Ce matin, les prisonniers m’avaient donné les leurs, tour à tour, puis les gardiens. Mes qualités, mes défauts, exposés. La fierté –l’arrogance, selon certain- était mon plus cruel défaut. Mais j’avais aussi de nombreuses qualités, à en croire tout le monde. Des souhaits sincères avaient été fait par tous. Une journée emplie d’émotions.

J’avais une boîte, emplie de petits cadeaux, des objets d’art, sculptés,d’une grande beauté, que je pouvais garder, ou revendre si j’avais besoin d’argent. Je les garderais, comme j’espérais que ceux à qui j’avais donné de tels cadeaux avaient eu les moyens de les conserver.

Et puis c’était tout, et je fis mon chemin hors des lieux.

À l’extérieur, Monsieur Tokel m’attendait à coté d’une voiture de location. Il me serra la main sans un mot, avec un petit sourire, puis nous nous en allèrent. La voiture était petite : ses bois le gênaient, et je n’étais moi-même guère confortable, un peu trop costaud pour ce siège fait pour une espèce plus petite. Qu’importe.

« Ta famille va bien. Elle ne sait pas encore que tu es maintenant libre. Tu pourras les appeler pour les aviser, ou leur faire la surprise. Il faut aussi que tu saches que la Lieutenant Enza Guerrier sait que tu es maintenant libre. Elle cherchera à te causer des problèmes. Tes autres ennemis sont en mission sur d’autres planètes. »

Rien d’inattendu. Enza… j’endurerais, c’était tout. Je ne chercherais pas à l’éviter. Je la considérais toujours mon amie, comme tous les autres, d’ailleurs.

Mon silence était mélancolique. Il voulait alléger l’atmosphère et me dit, « J’ai trois possibilités de travail pour toi. La première possibilité, de loin la plus intéressante, serait chez IMK. Je ne crois pas que ça va marcher, mais ça vaut la peine de tenter le coup. »

Mes oreilles étaient dressées bien droit. Même une chance sur dix était inespérée. « Vous êtes particulièrement bien connecté. »

Il sourit un petit peu. « Oui. Mais ça ne marchera pas. J’ai un autre travail qui paye bien, mais je te le déconseille car tu aurais à signer un contrat de trois ans avec un patron qui me semble avoir un taux de roulement du personnel élevé. Tu as certainement le physique de l’emploi, par contre. Déménageur. »

Mon hochement de la tête était déterminé. Je prendrais ce travail s’il le fallait. De toute manière, après la prison…

« Mais j’ai un troisième bouleau, et mon ami va garder le poste ouvert pour toi le temps qu’il faudra. Mal payé, mais tu serais chef d’équipe. Tu aurais des stagiaires dans une équipe de réfection des sentiers dans le Parc National de Kundu. »

« Chef d’équipe!?! »

Il était amusé de ma réaction. « Tu le dis toi-même : je suis bien connecté. Il y a aussi ton entraînement d’officier. Ils savent que tu peux faire le travail. Et puis, personne de qualifié n’est prêt à travailler dans les marais profonds. Trois semaines de travail, journées de douze heures, puis une semaine de repos. Des conditions de travail très pénibles. »

« Si IMK ne fonctionne pas, je voudrais ce travail. » Il ne faisait aucun doute à mon esprit. Chef d’équipe, même si seulement de stagiaires, ça me permettrait de trouver mieux, un jour, si je donnais tout ce que je pouvais donner. Comme tout militaire, je m’étais entraîné dans les marais, et je savais combien misérable la vie pouvait y être, mais ça ne me faisait pas peur. Une partie de nos ancêtres y avaient survécu près de trente ans pendant la guerre.

Son sourire était plus marqué. « Je savais que tu le prendrais. Mon ami m’assure que si tu travailles comme deux, si tu te montres très compétent, tu pourras avancer. »

« Il ne sera pas déçu. »

**

J’étais inconfortable. Les gens me regardaient, et je pouvais très bien imaginer ce qu’ils pensaient. C’était la première fois depuis ma condamnation que je me retrouvais parmi le grand public. Mon épinglette disait tout. Les enfants, surtout. Les adultes, eux, arrivaient à ne pas fixer, à ne rien laisser paraître. Ils demeuraient polis, bien sur, mais… je sentais le poids des regards.

« Ce n’est pas facile, mais tu t’y habitueras, » le cerf à mes cotés me dit, paisiblement.

Il n’y avait rien à répondre. Nous étions à l’aéroport. J’étais nerveux. Au moins, j’avais la croix de Sivant sur mon épinglette, et mon brassard portait les qualifications que j’avais gagnées pendant mon long séjour en prison. Rien n’était ménagé pour rendre les détenus réinsérables dans la société, qualifiés pour avoir un emploi. Les gardiens battaient et punissaient ceux qui n’étudiaient pas assez, ceux qui ne se donnaient pas suffisamment à l’acquisition de compétences. Mon brassard était plutôt étoffé.

J’étais conscient combien Monsieur Tokel m’observait, m’évaluait. Il était probablement un peu amusé.

Puis vint le moment de se séparer : nous habitions tous deux la capitale, mais il ne partait pas aujourd’hui. On me donna des protecteurs pour les oreilles avant de monter à bord de l’avion de transport de troupes. Un gros avion à hélices. Le vol allait être long, mais l’aéroport ne possédait pas suffisamment de volume en passagers pour justifier les navettes sub-orbitales qui rendaient les voyages plus rapides et confortables. J’avais souvent volé dans de ce type d’avion lors de mon entraînement, parfois pour faire des sauts en parachute.

Un solide gaillard qui savait comment bien endurer de tels vols, je pris un siège dans la section la moins confortable. Une section bien remplie avec des soldats en permission, et d’autres qui avaient fait leur service militaire. Les sections moins inconfortables étaient pour les malades, les vieillards, les gens accompagnés par des enfants, et les étrangers. Il y avait un étranger à bord, et il avait vraiment l’air embêté, tenant un sac de papier ciré dans une main. Les gens autour de lui faisaient de leur mieux pour ne pas sourire. Les étrangers détestaient voler sur les ailes de notre unique compagnie aérienne, dont tous les appareils appartenaient à l’armée.

Le siège de toile n’était pas très confortable, mais ça irait. L’équipage était militaire, naturellement, et le décollage se fit prestement. Un vol sans histoire.

Il pleuvait à notre arrivée, en milieu de nuit. J’aurais eu les moyens d’un taxi, mais j’allais avoir des dépenses dans les jours à venir, et l’argent me manquait. Une longue marche. Cela me donna le temps de réfléchir, de savourer cette liberté. Mais de craindre, aussi. Cinq ans, sans voir, sans parler à ma famille…

Une longue marche. À plusieurs reprises des véhicules ralentirent, me firent des appels de phares, mais je déclinai à chaque fois d’une main leur offre courtoise de me conduire pour un bout de chemin.

L’aube pointait lorsque, arrivant au détour du chemin, je vis enfin la maison familiale, de l’autre coté de la vallée. Un pincement au cœur.

De longs moments, à regarder, m’ébrouant seulement lorsque des miliciens, sac au dos et chantant la cadence, passèrent sur la route au pas de course. J’aurais donné beaucoup pour pouvoir joindre leurs rangs, même si ce n’était que la milice, des citoyens ordinaires donnant leurs trois semaines annuelles comme il était requis par la loi de tout citoyen en âge et en état de porter les armes. Pour les cinq prochaines années, ce privilège ne me serait pas permis.

Le dernier kilomètre fut trop rapide. Je continuai mon chemin, allai jusqu’à un petit lac dans la montagne. L’eau était froide, mais je voulais être propre, surtout après plusieurs heures sous la pluie et marchant dans la boue. Puis j’attendis, et lorsque de la lumière apparut aux fenêtres…

**

Je regardais la maison en contrebas, ma sœur jumelle assise à ma droite.Petits, nous avions souvent joué dans la montagne, truffée de souterrains, d’anciens tunnels datant de la guerre. Comme tous les habitants de la région, je connaissais chaque recoin, chaque mètre. Si un jour un ennemi venait, il verserait de son sang sur chaque roche, chaque pierre. Kivat n’était pas un monde riche. Maintenir une armée et une industrie militaire comme la notre coûtait cher. Si cela nous aidait à dissuader ou repousser nos ennemis, personne ne dirait mot.

« Il y a longtemps. » La voix de Freya était faussement douce. Nul autre que moi ne pouvait entendre la rage qui se tapissait au fond. Une rage qui m’inquiétait; me croyait-elle coupable?

Non. Elle et le reste de ma famille… la joie avait été réelle, les retrouvailles émouvantes, et la joie de Freya sans borne. Mon soulagement avait été intense, presqu’autant que ma joie. Non. Il y avait autre chose.

« Oui. » Rien de plus. Elle m’avait demandé de venir ici avec elle. Elle me dirait ce qu’elle voulait me dire quand cela lui conviendrait. Cela lui prit du temps.

« Ils savent que tu n’es pas coupable. »

« Bien sur. »

« Non. » Son ton était sec, dur. « Pas maman. Pas la famille. Oh, ils le savent, mais je parle de l’état major. »

Je la regardai avec un air un peu dépassé.

Elle continua, regardant droit devant. « Tu penses que la sœur d’un traître aurait été admise à l’Académie Militaire? Tu penses qu’elle aurait été promue aussi rapidement que je l’ai été? Ça, je l’ai mérité. J’ai mérité le rang que j’ai. Mais je sais comment la Légion fonctionne. Ça ne se peut pas. Et il est carrément impossible que la sœur d’un traître avec seulement quelques missions de combat à son actif puisse se faire assigner sur Kazin, pour faire partie de la garde Impériale. Impossible. Quelqu’un le sait. Ce quelqu’un ne veut pas que je paie le prix d’un crime que tu n’as pas commis. Ce quelqu’un n’ouvre pas la bouche pour te défendre. Lorsque je le trouverai, je lui arracherai la gorge. »

Il y avait un rictus sur son museau, ses dents blanches dévoilées à la nuit.

« C’est circonstanciel, tu supposes… » Il n’y avait pas de conviction dans ma voix. Son assignation à Kazin était impossible. Pas la sœur d’un traître, pas pour faire partie du régiment protégeant l’Impératrice.

« Elsenheym sait. » Son ton était sans appel.

Elsenheym. Sergeant-chef. Il m’avait défendu bec et ongle. Lorsqu’il avait compris que j’étais coupable, il m’avait battu, la pire raclée de ma vie.

« Non. Elsenheym le dirait s’il savait quoi que ce soit. »

Elle tourna la tête, me regarda droit dans les yeux, d’une manière indiquant qu’un combat suivrait si j’osais ne pas l’écouter, ne pas considérer ses paroles. « Il m’a pris sous son aile. Il m’a poussé. Il a tout fait pour que j’excelle. J’en ai bavé. Pas une fois il n’a parlé en mal de toi. Je me suis fait appeler « la sœur du traître ». Au début, seulement, jusqu’à ce que cela arrête, brusquement. C’est Elsenheym. Ça m’a pris des années avant de comprendre. Je lui ai parlé, il y a deux semaines. Je n’étais pas certaine. Sa réaction… il m’a menti. Je l’ai senti dans son odeur, je l’ai vu dans ses yeux, je l’ai lu sur son corps. Il sait. »

Un ton de voix calme, sans inflexion. Le poil hérissé, les oreilles aplaties, les yeux presque fermés. Et un sourire qui n’en était pas un.

Je ne pouvais le croire, mais je n’allais pas la contredire, pas maintenant.

« J’irai le voir demain. »

**

La souris derrière le bureau avait un sourire pour Freya. « Je suis désolée, Lieutenant. Le Sergeant Elsenheym n’est plus à l’Académie Militaire, mais a été réassigné à une unité de combat. Il n’est plus dans ce système planétaire. »

« Vous devez vous tromper, Soldat. Le Sergeant Elsenheym fait partie de l’Académie depuis maintenant huit ans. »

La souris fit une vérification. « Je suis désolée, Lieutenant. Mon ordinateur le confirme. Mais un instant. Je vais appeler le bureau de son commandant précédant. » Elle prit le téléphone, fit la vérification, et confirma le verdict.

Freya avait une bonne maîtrise de soi. Elle remercia la souris, puis nous nous en allèrent. « Il prend une semaine à un vaisseau pour atteindre la limite de saut. Il n’est plus dans le système planétaire. Je lui ai parlé il y a deux semaines. La Légion est efficace, mais même notre bureaucratie n’est pas aussi efficace que ça. Pas sans au moins un colonel pour tirer les ficelles. » Un ton mat. Dans sa tête, c’était la confirmation finale.

J’étais loin d’être aussi certain. « Peut-être avait-il demandé d’être muté à une unité de combat il y a un temps? » Une coïncidence, rien de plus.

Elle me donna le genre de regard qu’un officier enseignant donnait à un cadet ayant donné une réponse stupide à une question facile. Il était facile d’oublier que ma sœur était officier. Je ne connaissais aucun officier tolérant la stupidité.

« Non, Arkel. Une fois, c’est un accident. Deux fois, c’est une coïncidence. Trois fois… c’est l’acte de l’ennemi. Je le sais. Et tu le sais. Elsenheym sait. Et maintenant, il fuit. D’autres l’ont aidé à fuir. J’aurais du attendre avant de lui parler. Mon erreur. Je te présente mes excuses. »

Nous étions à l’extérieur. Le coup qu’elle donna dans une porte fit tourner des têtes.

« Il doit y avoir une explication. »

« Cesse de trouver des excuses pour ceux qui t’ont trahi en ne parlant pas. Je vais renoncer à mon rang en protestation. Ça devrait attirer l’attention. » Son sourire était dur, mais serein. Elle allait vraiment le faire.

Le son de son dos frappant durement le coté d’un camion stationné attira l’attention de plus d’uns. Je l’avais prise par le collet, plaqué contre le camion. Un civil portant la main sur un officier en uniforme? Une affaire de loups. Peut-être était-ce ce qui faisait hésiter les nombreux soldats dans les parages.

Elle était ma sœur. Je ne pouvais la laisser faire une telle chose, ruiner sa carrière. Nos yeux se rencontrèrent. Furieuse, elle tint mon regard, ne nous laissant qu’une seule issue possible.

Un combat selon les règles, mais violent. Elle était plus rapide, mais j’étais plus lourd, plus fort, et si j’avais appris une chose en prison, c’était comment encaisser les coups. J’avais aussi eu à me battre beaucoup plus souvent qu’elle, à force d’être intime avec quatre nouvelles louves par semaine. Aucun ménagement, de part ou d’autres.

La victoire fut mienne. Beaucoup regardaient. Personne n’était intervenu. Il ne fallait jamais intervenir dans une telle situation.

Nous étions tous deux très amochés. Tout ce que j’avais gagné, c’était le droit de la faire m’écouter, considérer mes arguments. Ça serait suffisant.

**

Ma mère et mes sœurs étaient assises autour de la table. Freya boitait toujours, mais elle ne montrait pas trop les résultats de l’empoignade d’hier. Un peu moins que moi.

Notre invitée avait bien entendu remarqué notre état, et en était probablement arrivé aux bonnes conclusions. Personne n’avait posé de question, naturellement, même pas ma fouine de petite sœur cadette.

Notre invité, une louve dotée d’une épinglette intimidante, souriait. Elle venait de nous faire son offre. Elle était représentante des « Chasseresses du Bois Bleu », le club de chasseresses le plus exclusif de Kivat. L’offre était simple : si j’acceptais de participer a leurs chasses trois fois par année, mes sœurs seraient invitées à participer, à faire leurs preuves. La croix de Sivant que j’arborais à mon épinglette avait eu cet effet sur de nombreux groupes. Ma mère, qui s’occupait de ceci, avait décliné les autres offres. Celle-ci, cependant…

Il n’y avait qu’une seule réponse à donner. Le prestige pour mes sœurs n’était que trop grand, et il était flatteur pour moi d’être considéré comme ayant le calibre requis. Bien sur, un mâle ne se mesurait pas aux meilleures chasseresses de ce monde –et donc de l’Empire- sans savoir qu’il allait être rudoyé plus souvent que dans une chasse normale.

Les termes étaient justes. Mes sœurs devraient faire leurs propres preuves, sans passe-droit autre que cette invitation. Un échange de regards avec ma mère, qui se leva, tendit la main à notre invitée, « nous acceptons ».


**

Je n’étais pas content. Freya, assise à ma droite, avait une expression carrément hostile. À ma gauche, Stanza était très clairement mal à l’aise.

« C’est une violation de mon droit à la privauté. » Mes paroles étaient calmes. Un crime qui n’avait rien de léger venait d’être commis.

Le lapin de l’autre coté du bureau avait une expression un peu dure. « Deux choses, Citoyen. Si tu veux que je prenne ton cas, c’était le prix à payer. Jamais je n’aiderai à prouver un traître innocent s’il n’est pas, effectivement, innocent. Si tu veux te plaindre aux autorités, cela est ton droit, mais mon clan et le tien n’entretiendront plus de bonnes relations si tu le fais. »

Il eut un moment de pause, puis, « mes instruments indiquent que tout ce que tu dis, tu le crois vrai. »

Le lapin était enquêteur. Il était du clan de Stanza, et la louve l’avait approché. Un échange de faveurs était impliqué. Elle le disait excellent. Le prix fixé par Stanza m’était parfaitement acceptable. Jamais je n’aurais pensé qu’elle me confierait à un criminel.

« J’aurais été d’accord pour passer au détecteur de mensonges si vous me l’aviez demandé, Citoyen, » je lui répondis, d’une voix qui arrivait à être calme. D’autres mondes prenaient de telles choses à la légère, mais pas Kivat. Il m’avait posé une batterie de questions sur ma cause. Clairement, il était très au fait des circonstances.

Il haussa les épaules, « une personne qui sait comment peut mentir, et le détecteur de mensonge ne le détectera pas. Tu ne savais pas que je le faisais. J’imagine que c’est peut-être devenu seconde nature pour toi. Il est même possible que tu te sois convaincu toi-même de la véracité de tes dires. Mais je crois en l’explication simple, que tu dis tout simplement vrai. Ce qui… soulève beaucoup de questions. Une cause fort intéressante. Je plie un peu les lois, à l’occasion, mais j’ai un sens aiguisé de la justice Citoyen. Je suis l’un des meilleurs de la capitale. Je vais prendre ton cas, si tu le veux toujours. »

Freya me regardait. Je sentais combien elle voulait que je refuse. Je sentais aussi combien elle voulait que j’accepte.

Le lapin me regardait avec une expression neutre sur son visage.

« Si la loi est respectée, je vais accepter. »

Il sourit. « Il n’y aura pas de crimes plus grave que celui que je viens de te faire. Mais la loi est parfois… restrictive. De petites entorses, des interprétations libérales, ça, il y en aura peut-être. À prendre ou à laisser. »

Je détestais donner mon assentiment à de telles choses, mais j’avais fait mes devoirs, et je connaissais sa réputation. Mon besoin était grand. « Très bien. J’accepte. »

Son sourire s’étendit. « Citoyen, la piste est froide et ça prendra du temps. Mais s’il est possible à quiconque de te prouver innocent, j’y arriverai. »

**

« Prends soin de mon frérot, Stanza, » Freya dit à l’autre louve, en l’embrassant.

« Nous allons te le rendre en une seule pièce, » Stanza répondit, en riant.

Quelques salutations, un clin d’œil, et Freya s’en alla d’un pas allègre, me laissant seul avec Stanza, qui se saisit de mon bras gauche, m’entraîna avec elle.

« Tu verras. Il te prouvera innocent. » Je sentais une certaine légèreté dans sa voix, un contentement. Malgré qu’elle ait cru en mon innocence, le doute n’avait pu faire autrement que d’exister. Avec l’avis expert d’un enquêteur chevronné, peu importe ses méthodes… ce doute venait de disparaître.

« La piste est froide, Stanza. Ça n’arrivera peut-être jamais. »

« C’est le meilleur. Mais assez de tout ça. » Elle me mordilla une oreille, et je la sentais très excitée. Il était temps de faire mon premier paiement… Comme toute personne faisant partie d’un clan, l’enquêteur devait donner à son clan un certain nombre d’heures de travail, une partie de son salaire, ainsi que certaines choses comme acheter dans des magasins possédés par des membres du clan lorsque c’était possible. Il devait aussi offrir ses services à un tarif préférentiel aux autres membres du clan. Mon marché n’était pas avec Stanza, mais avec son clan. Considérant l’extrême rareté des loups mâles, la croix de Sivant que je portais à l’épinglette, mon temps leur était particulièrement précieux.

Elle utilisa un téléphone public pour faire quelques appels et confirmer que le marché était conclu, puis un petit détour à un restaurant de quartier pour manger –et laisser le temps aux autres-. Après, un taxi nous mena hors de la ville, jusqu’à un chalet de montagne très coquet, ayant une vue superbe sur l’Arerhorn, un volcan éteint de près de 5000 mètres qui dominait le paysage de la capitale. L’Arerhorn était utilisé lors des épreuves de Darwinisme. Alors que je le regardais, des mâles en faisaient l’ascension, y risquaient leur vie. Une montagne de difficulté moyenne, réservée aux espèces mal adaptées à la montagne, mais bien adaptées au froid, gradué selon la météo typique pour la saison. Les espèces les mieux adaptées avaient le Pic de Rochant à monter, un monstre de plus de 7000 mètres. Une espèce en faisait même l’ascension l’hiver.

Un jour, je grimperais l’Arerhorn.

À la demande de Stanza, j’avais apporté les essentiels pour trois jours et deux nuits. Elle me prit par le bras, de manière possessive, et me mena aux autres, m’introduisit à celles qui allaient être mes partenaires pendant plusieurs jours. Il y avait aussi deux coyotes mâles assez costaud, avec une apparence ressemblant celle d’un loup. Il était assez commun pour une louve de « faire avec » un coyote, de prétendre avoir la compagnie d’un loup. Une pratique compréhensible, même si je ne l’aimais pas. Vifs d’esprit, opportunistes, paresseux, un peu moqueur par endroits. Ces coyotes, j’allais les remettre à leur place s’ils osaient trop présumer : s’ils voulaient jouer les loups, ils le feraient selon les règles.

Les louves me plaisaient beaucoup. Toutes étaient des chasseresses accomplies, et leurs épinglettes, leurs brassards, me disaient beaucoup de ce que j’avais besoin de savoir en un coup d’œil. Une fois les introductions faites, Stanza m’embrassa, puis retourna au taxi qu’elle avait fait attendre. Elle avait conclu le marché, mais n’en profiterait pas, au moins pour un temps. Un juste retour des choses, puisqu’elle avait certainement reçu l’aide de son clan pour être parmi celles qui m’attendaient au retour de ma dernière épreuve.

Le chalet était rustique, mais O combien confortable, la fraîcheur de l’air bannie par le feu brûlant dans l’âtre. Un démarrage lent et langoureux : les louves se connaissaient, mais à de divers degrés, et établir la hiérarchie prenait toujours un certain temps. Pour ma part, les coyotes semblaient accepter mon rôle de mâle dominant, quoiqu’à en juger par l’étincelle moqueuse dans leurs yeux, ils ne me prenaient pas au sérieux, plus intéressés aux louves qu’à autre chose. S’ils me donnaient une seule raison…

Celle qui était la louve dominante émergea très rapidement. Plus vieille, major dans l’armée, personne ne tenta de contester son règne. Elle n’était pas nécessairement la plus forte, mais elle avait une « aura » qui forçait la soumission. Son choix fut de me considérer comme son égal, ce qui m’arrangeait bien car je n’étais pas certain que j’aurais contesté son choix si elle avait décidé qu’elle me surpassait.

Une louve forte, assurée, intelligente. Elle avait tout ce qu’un loup pouvait désirer. Une fourrure grise et soyeuse, fournie. Son odeur était enivrante. Me croyant distrait, un coyote tenta sa chance avec l’une des louves les moins dominantes, son comparse faisant le guet. Je veillais au grain, cependant. Un signal caché de celui qui guettait avisa certainement le coyote téméraire, et il passa son chemin, innocemment. Je détestais ce genre de situation. Un loup ne testait pas constamment le mâle dominant.

« Tu vas devoir les mater, mon cher, » me murmura ma louve aux oreilles.

« Oui. Dès qu’ils m’en donnent la chance. »

La chance vint très tôt. Un coyote se retira, ostensiblement pour aller prendre une marche, alors que l’autre faisait diversion. J’étais occupé avec ma louve, l’embrassant, lui léchant le museau, ostensiblement distrait, un œil sur le coyote qui racontait des histoires amusantes à trois autres louves. Ma louve savait exactement ce qui se passait. Elle aussi avait l’œil sur ses louves, afin qu’elles ne prennent pas leur plaisir avec un coyote avant que ceux-ci lui aient fait honneur. Les louves de rang inférieur savaient très bien qu’elles n’auraient qu’une seule passe avec moi, qu’elles allaient devoir se rattraper avec les coyotes, mais que ceux-ci allaient d’abord être utilisés par les louves dominantes, ne leur laissant pas grand-chose en bout de ligne.

Les coyotes, quant à eux, savaient qu’ils auraient tout le sexe qu’ils pourraient survivre, mais ils savaient aussi que je passerais avant eux, qu’ils allaient devoir attendre, que les louves porteraient mon odeur. Eux aussi avaient leur code, une version pervertie du notre, ou le vol était un accomplissement particulier. Pouvoir se moquer d’un loup, pouvoir lui ravir ce qui était sien… un coyote vivait pour de telles choses.

Ma louve savait, je savais, mais nous ne le laissions pas paraître. Les autres louves s’en doutaient bien. Sagement, elles restaient la, à parler, à nous regarder. Deux d’entre elles étaient ensembles en nous regardant, chacune dénudant l’autre de ses vêtements, lentement, sans presse.

Naturellement, c’est au moment où nous étions le plus distrait, le plus occupés, que la louve la plus audacieuse se saisit du moment et s’éclipsa sans que personne ne s’en rende compte. Personne… sauf moi et ma louve.

« Donnons lui quelques instants, » me murmura à l’oreille ma compagne, ses bras autour de mes épaules, son corps rencontrant le mien avec une détermination renforcée. Nous n’aurions pas le temps de finir. Je le savais, elle le savait. Mais s’interrompre au mauvais moment –ce qui semblait vouloir être le cas- allait nous rendre encore plus intraitables, rendrait la punition donnée encore plus méritée. Un plaisir féroce me fouettait, et je sentais combien ma louve y répondait.

Je lui laissai choisir le moment, et elle attendit… longtemps, attendit au point ou nous étions tous deux proche du moment.

« Maintenant… »

S’arrêter fut difficile, mais je n’avais qu’à penser au sourire moqueur du coyote…

Je me retirai d’elle, puis je regardai le coyote qui faisait le guet, enlacé dans les bras de la seconde louve la plus dominante.

« Tu ouvres la gueule… » je grognai, en le regardant droit dans les yeux, me levant rapidement. Je vis son regard coupable, l’hésitation dans ses yeux. Mais il savait que me donner une seule raison lui procurerait un sale moment. Une expression d’innocence blessée prit place sur son visage.

« Laya, il est à ta charge. » C’était ma louve, qui regardait sa seconde dans les yeux. Laya hocha de la tête, comprenant exactement ce que voulait ma louve. « Pas de problème. » Et il n’y en aurait pas.

« Prends à droite. J’y vais par la gauche, » me dit ma louve, son poil hérissé, marchant rapidement vers l’une des portes. Simple, mais efficace. Rapidement, je fis mon chemin à l’extérieur, me déplaçant avec tout le silence dont j’étais capable, usant de mon nez pour tenter de retrouver nos deux larrons. Les coyotes étaient loin d’être stupides. Heureusement, l’endroit était à une bonne altitude, et la végétation était clairsemée : les seuls bons endroits pour se cacher étaient de grosses roches obstruant la vue.

Une recherche rapide, méthodique. Mais ce n’est pas moi qui trouvai le premier. Un cri de surprise étouffé -la louve de rang inférieur- de l’autre coté de la maison m’avisa que ma louve avait trouvé. Et puis sa voix furieuse me confirma tout.

Le coyote cherchait à s’esquiver. J’arrivais à toute vapeur, il ne regardait pas dans la bonne direction, et sa course le menait vers moi… il n’était pas prêt pour la collision, rencontrant une épaule abaissée à toute vitesse. Sonné, au sol, il ne pouvait se défendre, et mes dents le prirent aisément à la gorge. Une prise dure, pour le forcer à s’en rendre compte. La tension le quitta très vite. Un réflexe.

Je le relâchai. Il était nu, son pénis arborait une fière érection, qui luisait, qui sentait la louve. Pris en flagrant délit. Sans ménagement je le forçai à prendre pied, le poussant vers le chalet. Ma louve… faisait de même avec sa subordonnée, qui avait la queue entre les jambes, son langage corporel l’assurant de sa soumission la plus complète. Mon coyote était peut-être encore trop sonné pour avoir le comportement désiré. Rien que quelques menaces bien senties, grognées à l’oreille, ne pouvaient corriger.

Et puis nous étions tous dans la salle commune, mon coyote ayant suffisamment regagné ses sens pour lancer un regard plein de reproches à son comparse. Diviser pour régner. Telle était la manière de faire avec les coyotes. Je laissai d’abord à ma louve le soin de discipliner sa subordonnée devant les yeux de tous. Elle laissa sa frustration délibérée s’exprimer. Une assez sévère humiliation pour une louve qui l’avait bien méritée.

Puis c’était à moi de discipliner mon coyote. Celui-ci avait un air très craintif, tentait de m’amadouer, me faisait des promesses très distinctes. Il se pouvait même qu’il dise vrai. Il avait un œil craintif sur cette érection que je n’avais jamais perdu, une érection bien plus massive que la sienne.

D’une main, je tirai la louve dominante à moi et la forçai à prendre une position plutôt classique : à genoux, les mains sur le sol, les jambes bien écartées, la queue tenue haut.

« Lariam, fais usage de Loqui. Si tu arrives à te satisfaire avant que je satisfasse ma partenaire, je ne te monterai pas. » Diviser pour régner : Lariam était le coyote qui avait fait le guet, Loqui celui qui avait été pris en flagrant délit. Normalement, c’est moi qui aurait dû le monter, mais le donner à un autre mâle était encore plus humiliant, et Loqui n’oublierait pas de sitôt que son « ami » en avait fait usage.

« Jamais!! » Loqui s’exclama d’un ton étranglé, prenant plusieurs pas de recul.

Ma louve donna un grognement approbateur lorsque je fis un mouvement vers Loqui, qui le fit reculer encore plus. « On peut sûrement s’arranger! Il y a moyen de moyenner! »

Mon langage corporel ne faisait aucun doute : si Loqui me défiait devant tous, le prix à payer n’en serait que plus intense. Voulait-il vraiment supporter toute la fougue et la puissance d’un loup déchaîné, furieux? Un loup qui se ferait un point d’honneur d’en faire un jouet dans les jours à venir? Loqui était impétueux, mais pas stupide. Il comprit rapidement qu’il se devait de faire le moins pire des choix. Il le fit, prenant la position appropriée la ou je pointais, au centre. Lariam, qui n’avait aucunement l’intention de subir mes ardeurs, enlevait déjà ses vêtements.

L’expression de Lariam en était une de désapprobation, comme si faire ce qu’il allait faire lui répugnait, mais son érection vigoureuse ne trompait pas, et il savait que ceci ferait de lui mon second… et donc qu’il passerait après moi, mais avant l’autre coyote…

Avant même que je puisse retourner à ma louve, le coyote était déjà en train d’enfiler un condom lubrifié, murmurant des mots d’excuse à son comparse, lui disant qu’il n’avait pas le choix. Son enthousiasme perlait au travers de sa voix, malgré tous ses efforts pour ne pas le laisser paraître, et l’autre coyote grimaçait de honte et de douleur anticipée, de méchanceté envers son complice déloyal. Et d’une certain jalousie. Il savait que Lariam allait lui faire ce que Loqui lui aurait fait si leur position avait été renversée.

Ma louve était aussi chaude que lorsque je l’avais quittée. Et encore plus mouillée. Il était excitant pour tout loup d’imposer sa volonté sur un autre, de se savoir au sommet de la hiérarchie, incontesté. Je lui fis l’amour sans hâte, avec tendresse, bâtissant en elle un plaisir puissant, avec sous les yeux le spectacle de Lariam prenant Loqui avec vigueur et rapidité… mais se retenant, faisant durer son plaisir, un œil sur moi, et je savais déjà qu’il durerait _presque_ aussi longtemps que je le ferais. Il était rare pour un coyote de pouvoir en prendre ainsi un autre…

Des louves méritantes à servir, des mâles à dominer, plusieurs jours pour le faire… que pouvait désirer de plus un loup?

Le Loup 4

 

ŠLE CERCLE BDSM 2006