Histoires Des Invités

 

Le Loup 7

Par Arkann

 

« Je suis désolée, Arkel, mais ce qui t’a été dit est assez juste. Je connais bien Shavayan. Ce que je sais par expérience ne correspond pas complètement à ce qui est véhiculé par vos médias. Tu devras faire tes recherches. »

L’Ambassadrice me dit cela en me regardant dans les yeux. Ça donnait un coup de voir une certitude montrée comme étant illusion. Le gouvernement de Kivat mentait sur certaines choses, et ce sans qu’il existe un réel besoin. Lorsque l’on ment sur une chose, il est plus facile de mentir sur une autre.

La renarde pouvait le lire sur mon visage, et elle ajouta, « votre propagande n’est pas domestique, mais extérieure. Elle a une certaine portée domestique, en vous faisant croire que tout est plus rose chez vous, mais tu peux continuer à faire confiance à ton gouvernement. De par mon expérience –elle est très vaste-, votre gouvernement est l’un des plus droits que je connaisse. »

Elle devait avoir raison, mais j’allais devoir réévaluer ce que je tenais pour acquis lorsque je rencontrais un étranger.

« Je vous remercie. »

« Mais je t’en prie, Arkel. »

Un hochement de la tête pour la remercier. Puis je lui fis part des suppositions de Vaya Shavayan, ne lui parlant que des choses qui concernaient l’Impératrice.

La renarde m’écouta avec attention, mais ne me fit aucun commentaire sur les spéculations de la louve.

« Vaya Shavayan provient d’une famille très importante sur son monde. _La_ famille. Très puissante. L’une des vingt familles les plus influentes de l’Empire. » Ce commentaire fut le seul qu’elle accepta de me donner.

Puis elle m’avisa de mon horaire pour les semaines à venir. Isolée sur un vaisseau spatial, elle avait l’intention d’utiliser son temps de manière constructive… et j’étais son projet. Elle arborait un sourire retors en me disant cela, une expression profondément amusée. Clairement, elle allait donner à ceux qui l’observaient toutes les raisons de penser que j’avais une grande importance pour ses plans futurs.

Elle m’introduisit à la renarde des sables qui allait être en charge de ma sécurité. Elle portait une robe couleur sable avec un capuchon et un foulard sur la face qui ne laissait que ses mains, ses yeux et ses oreilles de visibles. Un aspect qui aurait été presque sinistre sil elle n’avait pas été si menue. Elle avait des yeux perçants qui ne manquaient rien, des oreilles tenues haut qui attrapaient tous les sons. Je n’étais pas à l’aise avec l’idée d’avoir des gardes du corps, mais la renarde des sables me fit comprendre très rapidement que les dangers étaient multiples. La Secte. Plusieurs groupes terroristes. Les groupes anti-loups. Et bien d’autres encore. Elle savait clairement de quoi elle parlait, avec une assurance calme.

« J’aimerais être armé, si les risques sont si nombreux. »

« Hors de question. Avoir une arme vous inciterait à l’utiliser, à ne pas fuir. Une arme ne ferait qu’augmenter votre danger… et celui de mon équipe par le fait même. » Elle parlait d’une voix à peine audible, même si je savais que, pour son espèce, elle parlait fort. « C’est notre spécialité. Nous pourrons compter sur votre coopération? » Un ton poli, mais un regard qui en disait long.

« Oui. » Une réponse qui ne me plaisait pas, mais la seule possible car je pouvais comprendre son point de vue et je n’allais pas être une source de dangers supplémentaires à ceux chargés de ma défense.

« Très bien. Je vais vous faire rencontrer le reste de l’équipe. » Elle donna un hochement de tête à l’Ambassadrice en se levant, qui lui répondit par un sourire.

La fennec me présenta à ses gens, des professionnels de très haut calibre. La journée complète à passer en revue les procédures. Quoi faire si je me faisais prendre otage. Comment passer de l’information. Comment réagir en cas d’urgence. Et des choses moins dramatiques, comme le niveau de monitoring auquel je pouvais m’attendre de leur part.

J’étais prêt à donner mon entière coopération à tout, sauf sur ce point... je ne savais pas ce qui était considéré comme acceptable sur Kravik, le monde d’où la fennec provenait mais, sur le mien, l’intrusion dans la vie privée était une chose intolérable. Elle n’insista pas trop longtemps, éveillant quelques suspicions, et je lui fis promettre qu’elle ne tenterait pas de contourner cette règle cruciale.

Beaucoup à apprendre, mais intéressant. Il ne me plaisait guère d’être une cible, un leurre, mais si c’était la meilleure manière pour moi de servir mon monde et l’Empire…

Au moins, la renarde des sables avait accepté que je me pratique avec ses gens. C’était plus une question de vouloir apprendre d’autres techniques de combat et de garder une bonne forme physique qu’une question que je m’attendais à devoir utiliser cette connaissance pour défendre ma vie. Avec des gardes du corps autour de moi…

**

Je ne buvais ni ne mangeais rien lorsque j’étais dans les quartiers de Vaya, le souvenir de ses goûts dispendieux trop marqué en moi. Cela l’irritait. Dommage pour elle.

Quant à ses ‘esclaves’, je devais admettre que les derniers jours m’avaient convaincu qu’ils étaient présents par choix. Un choix façonné par leur Endoctrination particulière, leur appartenance à une société profondément malsaine, mais c’est ce qu’ils désiraient réellement. Je leur avais parlé en l’absence de Vaya. J’avais fait mes recherches dans les bases de données. Sur leur monde, la situation pour les castes inférieures variait grandement de Famille régnante en Famille régnante. Des conditions misérables sur certains territoires… mais pour la plupart, le niveau de vie des castes inférieures était meilleur que celui d’un Citoyen de Kivat. Ça m’avait donné beaucoup à penser, j’avais fait des recherches sur d’autres de nos ennemis idéologiques… et j’avais décelé un certain nombre de faussetés dans le discours de notre gouvernement. C’était une profonde déception.

J’avais fait l’erreur de présenter des excuses formelles à Vaya. Elle avait été gracieuse, mais sa nature dominante ne s’en trouvait que fortifiée. Rien de trop sérieux, mais rien pour améliorer cette relation instable et tendue qui était la nôtre.

Elle était étendue sur le coté, la tête supportée par une main, une tasse de café tenue dans l’autre. Le café avait une odeur incroyable, et je faisais tout pour ne pas lui montrer combien j’aurais aimé y goûter, juste un peu. Même le café régulier disponible au club Lupin était bien meilleur que le meilleur des cafés disponibles sur Kivat. Ce qu’elle avait dans sa tasse…

J’étais étendu de l’autre coté du lit, lui faisant face. Elle terminait de me raconter les attentes qu’avaient ‘ses’ louves pour les jours à venir. S’il y avait eu d’autres loups à bord, en tant que mâle dominant, j’aurais fait de même pour elle.

Elle termina, puis, « j’ai entendu dire que tu prends des cours de tes gardes du corps? »

« Tu m’espionnes. » J’utilisai un ton neutre. Le droit à la vie privée était une chose importante.

Elle me donna un sourire. « Pas exactement. Je me tiens informée. De toute manière, si je t’espionnais, je ne te le révèlerais pas : je suis très au courant de votre obsession. Je la partage, à tout le moins en ce qui regarde mes affaires personnelles. »

Son expression devint moins enjouée à la lecture de la mienne. « Arkel, je ne t’espionne pas. Mais je me tiens au courant. Tu devras t’y habituer, ou nous devrons nous battre. Sache que pendant que tes anges gardiens te montrent comment te battre contre moi, j’apprends d’autres techniques, moins dangereuses pour toi, de mon coté. Tu me surprendras peut-être, mais moi, je te surprendrai assurément. Penses-y bien. Le statut quo est préférable. »

J’avais présumé qu’elle chercherait à corriger les lacunes de ses techniques de combat trop létales. J’avais cependant assumé que mon enseignement demeurerait secret.

« Comment as-tu su? »

Un sourire amusé. « Je ne révèle jamais mes sources, ni mes méthodes. Tout est permis, en amour comme à la guerre. »

« Si tu le veux ainsi… » Je pouvais moi aussi jouer ce petit jeu.

Elle semblait lire dans mes pensées. « Tu ne pourras me battre sur ce terrain, Arkel. La politique sur mon monde est une chose complexe et subtile, un jeu qui se joue sur de nombreux niveaux à la fois. Savoir cacher ton jeu, découvrir celui des autres, ce sont des aptitudes cruciales que je possède en quantité… et qui te manquent cruellement. »

Beaucoup de mots se bousculaient à mes lèvres, mais le silence était d’or dans un cas comme celui-ci.

Elle soupira, me donna un sourire contrit. « Je t’aime bien, Arkel. Je ne cherche pas la guerre. Je suis ce que je suis. Je plie ma nature pour respecter tes frontières. Je t’épie, mais je ne t’espionne pas. Jamais je ne ferais preuve de tant de retenue avec un mâle de mon monde qui aurait soulevé mon intérêt. Je te prie de reconnaître mes efforts, et d’en faire de ton coté. »

« Très bien. » Des mots qui ne voulaient pas dire grand-chose.

« Paix, » elle dit, se rapprochant. Elle m’embrassa, et j’étais plutôt heureux de mettre la discussion derrière nous. Et puis il y avait le goût du café sur ses lèvres, sur sa langue. Un goût vraiment sublime.

Elle rompit le baiser. « Si tu veux du café, tu n’as qu’à accepter quand il t’est offert, ou à en demander,» elle me dit, d’un ton mordant.

Je ne pouvais que lui donner un sourire plein d’embarras. Je m’étais échappé, trop concentré sur ces saveurs si complexes et envoûtantes.

« Bon. Ce n’est pas grave. » Un moment de silence, puis, « il y a un sujet délicat dont nous devons discuter. »

« Ah? »

Elle me donna un dur sourire. « Tu ne vas pas aimer. Tu vas te sentir piégé. »

Ça ne promettait pas.

Je ne répondais pas. Alors elle expliqua. « Valérie m’a demandé s’il était envisageable pour elle de t’appartenir. » Il y avait de la désapprobation dans sa voix, un inconfort marqué. Elle était éminemment sérieuse, et ce n’était pas la menace amusée qu’elle m’avait fait il y avait maintenant plusieurs jours.

Elle continuait, « en règle générale, lorsqu’un esclave veut changer de Maître, il est préférable d’acquiescer si son nouveau Maître le désire et possède les moyens d’acheter cet esclave. Je pourrais t’en faire don –sous conditions-, puisque tu n’as manifestement pas les moyens de l’acheter. Mais tu es de Kivat, réfractaire. Tu ne sais rien de ce que cela implique, même si je peux te l’enseigner. Personnellement, je suis contre, car cela risquerait de compliquer ta relation avec moi, surtout si tu penses que c’est moi qui l’ai poussée à faire une telle chose. Cela compliquerait gravement ta relation avec ceux de ton monde. Mais je t’en parle, car c’est le souhait de Valérie, ardent et réfléchi. »

Lors de mon entraînement militaire, j’avais vu un cadet être blessé par une grenade d’exercice dont le détonateur défaillant avait explosé prématurément. L’expression sur la face du lapin en avait été une d’incrédulité, sans douleur lors des premières secondes, malgré ses blessures à la main et au visage, les deux doigts qui avaient été arrachés. Mon expression devait ressembler à la sienne.

Vaya serra les dents, puis, « ses raisons sont multiples et très sensées. Elle croit pouvoir t’apporter beaucoup, t’ouvrir l’esprit en te forçant à confronter une réalité si distante de la tienne que tout progrès sera nécessairement important. Elle sent une innocence en toi qui l’attire énormément, et elle veut prendre cette innocence, t’enseigner toutes ces choses qui font un bon Maître. Elle fait le pari qu’elle peut te convertir, au moins en partie. Elle à une profonde attirance envers les loups, et tu es le seul loup mâle disponible qui possède les qualités qu’elle recherche. Elle veut me servir en te servant, car elle sent que mes objectifs seront plus aisément réalisés si ton esprit est ouvert de la bonne manière. Son allégeance sera exclusivement tienne, cependant. »

« Elle croit que tu es destiné à manœuvrer dans certaines sphères aristocratiques et politiques qui te sont totalement inconnues : tu auras besoin d’une assistante compétente et de confiance.  Si c’est le cas, tu auras des ennemis politiques, et elle saura quelles stratégies adopter. Tu auras une personne qui t’appartient, corps et âme, en qui tu pourras avoir une confiance totale. Que tu ne sois qu’un leurre, ou que tu sois destiné à verser ton essence dans le corps de l’Impératrice, ta vie va devenir… intéressante. Tu as besoin d’aide, c’est clair. »

On s’acharnait sur moi à grands coups de matraques. Je jetai un regard en direction de Valérie, qui comme toujours était à genoux sur un grand coussin avec les autres le long du mur; son expression était impassible, mais cette intuition que j’avais pour les renards me disait qu’elle était à la fois tendue et amusée.

Un silence de plomb régnait. Trop de choses en même temps. J’étais dépassé.

Puis, la seule réponse possible, celle qui s’imposait de soit. « Non. Je suis désolé Valérie, mais une telle chose est impossible. »

Je la regardais dans les yeux, voulant que toute ma bonne volonté transparaisse dans ma voix.

Elle sourit. D’une voix emplie d’une confiance calme, « il ne faut jamais dire jamais, Maître. »

**

Je marchais les corridors du navire sans réel but. Il y avait beaucoup à voir, à sentir, à ressentir. Il y avait aussi beaucoup à penser. Nous avions à peine quitté l’orbite de Kivat que déjà je voulais revenir chez moi, tout oublier de cet univers extérieur si compliqué et désordonné.

L’offre qui m’avait été faite par Valérie le jour avant était troublante. Je ne l’accepterais bien sur jamais, même si un coté de moi était un peu curieux et intéressé, mais ce qui me troublait était ses raisons, ses motivations. Il était profondément malsain pour une personne de vouloir être l’esclave d’une autre. En temps normal, j’aurais accepté cette vue sans même y penser à deux fois. Mais maintenant, avec mes yeux qui se faisaient ouvrir de force, force m’était de constater que certaines choses que je tenais pour acquises n’étaient pas toujours vraies. Je voulais discuter avec Valérie, comprendre la source de ses désirs, juger si elle était saine d’esprit. Si elle l’était…

Perdu dans mes pensées, errant sans but, marchant dans la bonne zone, je ne vis pas le véhicule électrique dévier de sa zone avant qu’il soit trop tard. Jaune et noir pour plus de visibilité, avec un petit gyrophare, émettant un son plaisant pour signaler sa présence, le petit véhicule de livraison prit brusquement de la vitesse, et fonça dans la zone piétonnière malgré ses systèmes de sécurité qui empêchait cela et les collisions.

Un accident bête, imprévisible. De telles choses n’arrivaient plus depuis des siècles. J’avais de bons réflexes, mais il était trop tard…

Et puis j’étais au sol, une jambe durement frappée par le plastique du véhicule robotisé, le poids de Jarran –l’un de mes gardes du corps- sur moi. Il avait vu le véhicule arriver, s’était élancé contre moi, m’avait probablement sauvé d’un séjour prolongé à l’hôpital du navire. Des cris. Au moins l’un de ceux-ci était un cri de douleur, un piéton ayant été happé.

Je bougeais pour me relever, pour aller aider, mais une douleur lancinante se manifesta dans ma jambe qui avait été frappée. On m’empoigna. Sarem, un buffle, le garde le plus musclé du groupe, qui me tira contre lui d’une seule main, dégainant son arme de l’autre, me tirant avec lui, dans une autre direction. Des coups de feu…

« Hey! » Il y avait des civils partout. Ce n’était qu’un accident. La puissante voix d’un fusil à pompe se fit entendre. Une violente poussée de la part de Sarem, hors du chemin du véhicule électrique, qui faisait reculons pour nous percuter.

Pas du tout un accident. Une brève vision de ma jambe gauche, légèrement pliée la ou il n’était pas normal qu’elle le soit. Une vision qui était consistante avec la douleur qui en provenait. Emporté par deux gardes, retenant mon souffle pour ne pas crier, tentant d’aider avec la jambe qui n’était pas cassée.
Je voulais m’excuser à toutes ces personnes que nous bousculions, terrifiées par ce groupe de personnes armées, prêtes à tirer. Nul doute certains d’entres eux pensaient qu’un groupe de terroriste était en train de frapper.

Ils me menèrent en lieu sur, attendirent des renforts, puis les choses se calmèrent. Personne parmi mes gardes n’avait été blessé. Ma jambe était cassée. Rien qu’un passage à l’hôpital du navire ne puisse régler. Parmi les civils, trois personnes avaient été frappées par le véhicule, l’une d’elle gravement, mais les tirs de mes gardes contre le véhicule n’avaient blessé personne. C’était très important pour moi. De profonds remerciements étaient de rigueur, et ils furent acceptés avec gracieuseté.

Quand au véhicule… les systèmes de sécurité avaient été sabotés, le contrôle prit à distance. Les tirs l’avaient mis hors d’état de nuire. Le Capitaine était furieux, promettait de jeter vivante hors d’un sas la personne coupable lorsque celle-ci serait capturée. Avec sa totale coopération, la compétence de l’équipe nous entourant moi et l’Ambassadrice, le niveau de monitoring à bord, il était probable que le coupable allait être trouvé.

Une forte dose d’adrénaline. Ce n’était pas un champ de bataille, mais…

**

Ma jambe était fermement immobilisée. Mon tibia avait cassé assez nettement, alors que le péroné était demeuré intact, ce qui était plutôt chanceux. Jeune, un loup, ayant reçu des injections dans la zone blessée qui stimuleraient la guérison, j’allais m’en remettre assez rapidement. Mes louves avaient très vite rappliqué lorsqu’elles avaient appris la nouvelle.

Un avantage évident était que moi et Vaya n’allions plus croiser le fer : j’allais récupérer rapidement, mais pas avant que je n’arrive à ma destination. Cela lui forçait à faire certains efforts pour ne pas donner l’impression qu’elle prenait avantage de ma blessure. Le désavantage était que les louves me traitaient comme si j’avais les deux jambes et les deux bras cassés. Au moins, ça me permettait d’être dans mes quartiers, et non pas dans ceux de Vaya.

Et puis, il y avait bien quelques avantages marginaux… comme en ce moment, ou j’avais une louve de chaque coté de moi. Sur le dos, confortable, au chaud, paresseux, alors qu’Arya, l’étudiante en route pour Kazin, me prenait, montant et descendant sur mon membre à son rythme, alors que Vaya m’embrassait avec insistance et Sha’ha me caressait de ses mains. J’avais la tête sur les cuisses de Xi –la louve d’Ixo- qui avait eu son tour, plus tôt.

Vaya était insistante, mais tendre, chaleureuse, très douce. Trois jours depuis la tentative d’assassinat. Trois jours sans friction, sans provocation. Elle ne me montrait que ses bons cotés.

Tout ce qu l’on attendait de moi c’était que je dure, que j’embrasse, que je caresse, que je lèche, que je dise des mots tendres, que je tienne dans mes bras, que je serre très fort…

Arya me prenait, à son rythme paresseux, faisant durer son plaisir, le bâtissant doucement. Elle ne voulait pas tomber enceinte –pas alors qu’elle débutait l’université- et m’avait demandé de l’aviser, avant. À son rythme, Xi ayant passé avant, elle allait jouir bien avant moi. Surtout que je savais qu’elle s’imaginait en louve dominante, prenant son plaisir avec un mâle puissant qui se soumettait à elle. Cette position était de loin la plus pratique avec une jambe cassée, mais c’était aussi celle communément prise par une louve dominante. Pas très forte, solide ou belle, une telle chance de prétendre ne reviendrait probablement jamais. Pas avec un loup. Son coyote… c’était une autre histoire.

Vaya me mordillait, me léchait le museau. La dominante parmi les louves, par beaucoup, elle était généreuse et ne m’accaparait pas comme d’autres auraient pleinement été en droit de faire. Elle était juste avec les autres, lorsque venait le temps de trancher, et de régler les quelques litiges qui étaient survenus. Dans quatre semaines, nous allions arriver à Kazin. Il valait mieux profiter de ces jours idylliques, car seuls lors de déplacements entre planètes aurais-je cette chance de passer plus d’un jour ou deux avec une même louve.

Je la regrettais déjà, même si je ne la connaissais que depuis quelques jours, même si j’avais plusieurs semaines devant moi. Si les choses avaient été différentes, elle aurait été le genre de louve avec qui j’aurais aimé être toute ma vie. Puissante, intelligente, élégante, sophistiquée, dominante… et me voyant comme son égal. Elle venait d’un monde qui incarnait le mal, elle faisait partie de leur caste dirigeante, mais elle m’avait fait réaliser à quel point il me fallait tout nuancer. Et puis, un loup ne pouvait être insensible à une personne de pouvoir.

Longtemps après, seuls, je lui fis part de mes réflexions alors qu’elle me chevauchait, ses doigts enlacés avec les miens, gardant mes mains au lit à coté de ma tête, ses seins passant parfois assez proche de mon museau pour que je puisse les lécher sans effort.

« Qui t’as dit que l’arrivée à Kazin est la fin de tout? » elle me demanda, d’un ton espiègle.

« Mais… »

Elle sourit. Ferma les yeux. Se concentra quelques instants sur le plaisir que lui offrait mon corps captif. Puis, « il y a quatre ans que j’ai respiré l’air de mon monde. Il y à quatre ans que je me promène d’un bord à l’autre de l’Empire, que je m’expose à de nombreux mondes, que je m’instruis sur beaucoup de choses. J’avais de nombreux buts, en partant. L’un des plus importants était de trouver un mâle qui me conviendrait. Leurre, ou futur amant de l’Impératrice? Tu es parfois naïf, mais c’est plus une question d’idéalisme et de politesse aiguë qu’une question d’intelligence. Si tu crois qu’une fille de Shavayan laisserait le loup idéal lui glisser entre les doigts, c’est que tu ne nous connais vraiment pas. Peut-être nos chemins divergeront-ils parfois, mais ils convergeront toujours. »

Puis, avec un sourire carnassier, « tu es à moi, Arkel. Je l’ai su très vite. Des loups, j’en ai connu beaucoup plus que ma juste part. Et vous de Kivat, vous êtes prévisibles, vous êtes douloureusement honnêtes. Comme maintenant, ce que tu viens de me révéler. Peu de temps avec toi, mais je sais déjà à quoi tu ressembleras dans vingt ans. Je vais travailler tes défauts et tes faiblesses. Tu es à moi. Je te prêterai volontiers à d’autres, à mes sœurs, et à l’Impératrice s’il le faut, mais rappelles-toi toujours quelle louve à la première déclarée que tu es à elle. » Une voix pleine de menace tranquille, comme il convenait à une telle déclaration.

Elle libéra l’une de ses mains et me serra le museau afin de m’empêcher d’ouvrir la bouche et parler. « Plus un mot. »

De longues, longues minutes à faire l’amour, lentement, à penser à ce qui allait peut-être être. Était-il possible, cet idéal imparfait, si extrêmement rare pour les loups? La conviction calme dans sa voix me disait que oui. Une partenaire pour le reste de ma vie? C’était plus que ce que j’avais jamais espéré. Il y avait comme une tension puissante qui avait toujours été en moi, que je n’avais jamais décelé, qui se relâchait.

« Je n’en sais pas assez sur toi. »

« Je sais, » elle me répondit, « ça viendra. »

**

La photo du dossier ouvert, déposé sur la table montrait une souris, portant l’uniforme de l’équipage. Rien sur cette photo ne laissait croire à un esprit criminel. Rien dans son dossier, non plus.

Celle qui avait tenté de m’assassiner avait été capturée. Elle avait formellement nié, mais il y avait à bord un agent du Directorat –probablement parmi le personnel de l’Ambassadrice- et cet agent avait interrogé la souris et… obtenu toutes les confessions requises. Les méthodes utilisées, le passé criminel de cette personne, tout. Tout ce qui pouvait l’être avait déjà été confirmé comme étant véridique.

Elle faisait partie de la Secte d’Ankthil. Dans un Empire de presque mille milliard d’âmes, tout peu et _va_ exister, particulièrement lorsque l’esprit est altéré dès le plus jeune âge par l’Endoctrination que tous recevaient. Cela arrivait très rarement, mais certains sujets répondaient de manière extrême à leur Endoctrination. Cela avait été le cas avec la souris.

Les services de sécurité arrivaient à détecter la plupart des cas dangereux avant que ceux-ci ne deviennent compétents, mais… ceux qui arrivaient à passer au travers des mailles du filet se retrouvaient souvent dans la Secte. C’était un mouvement totalement décentralisé, qui ne pouvait exister qu’avec le Net. Des dizaines de millions d’adhérents, dont seulement quelques dizaines de milliers avaient la motivation, la compétence, le courage, et les moyens de passer aux actes. Une Secte qui n’avait aucun but précis, qui existait pour l’adrénaline, le prestige. Une liste de cent mille noms, et chacun de ces noms une cible d’importance, difficile… et chaque nom ayant une valeur.

Cette liste existait, telle un virus informatique, atterrissait dans les boîtes de courriel sous une forme perpétuellement changeante, impossible à éradiquer. Quelqu’un avait ajouté mon nom à cette liste, avait fourni de nombreux détails, beaucoup de spéculations. J’étais en bas de la liste, ma valeur et mon rang sur cette liste en instance d’approbation. Tout en haut de cette liste, l’Impératrice et, dans le peloton de tête, l’Ambassadrice.

La souris avait tout avoué. Elle avait été responsable de la mort du Gouverneur de Saran-3, du Comte de Tierny, et de l’un des nombreux attentats manqués contre l’Ambassadeur Impérial sur Katar. Elle avait laissé des preuves, et son pseudonyme avait un grand prestige parmi les membres de la Secte.

Une secte emplie de fous.

Le nom de Vaya était aussi sur cette liste, en position 9886.

Plus que tout, plus encore que l’attentat lui-même, cette liste me forçait à réaliser combien mes gardes étaient nécessaires.

**

« 9886? C’est une vielle liste, celle qui flotte sur ce navire. Je suis en position 9842, » Vaya me dit, amusée. « Ma famille est la famille dominante de Shavayan, ma mère dirige notre famille, et je suis sa troisième fille. Il en a toujours été ainsi. »

« Et ta sécurité? »

Elle sourit. « Si tu ne l’as pas remarquée après plus d’une semaine, c’est qu’ils font leur travail convenablement. »

« Tu n’as pas de garde rapprochée. »

Elle hésita de longs moments avant de me répondre, puis, « Tu te trompes. »

Un moment à réviser nos mouvements, ensemble. Jamais je n’avais vu de gardes autres que les miens.

Elle m’aida. « Mes esclaves. Personne ne s’attend à ce qu’ils soient armés, encore moins à ce qu’ils soient compétents à autre chose que de donner du plaisir. Tout le monde s’attend à ce qu’une des Maîtresses de Shavayan se promène avec ses pauvres esclaves abusés. Ah! Valérie peut vider sont chargeur dans une cible à trente mètres en dix secondes et toutes les balles seront groupées dans l’anneau central. Elle est de ceux qui m’enseignent un nouveau style pour te maîtriser sans avoir à te tuer. Ce qui vaut pour Valérie vaut pour les autres. »

Je regardais Valérie, agenouillée sur son coussin, l’air toute soumise, avec des yeux nouveaux. Et maintenant que je savais, je comprenais pourquoi ses vêtements étaient comme ils étaient. Je pouvais deviner comment était caché le système de communication, ses armes… Je l’avais dévêtue à plusieurs reprises, et jamais je n’avais remarqué quoi que ce soit. Si elle les avait eu avec elle, car nul doute que mes gardes ne lui auraient pas permis d’être armé en ma présence sans la présence de Vaya. Ou bien…

« Tu dois avoir une entente avec ma garde, oui? »

« Bien entendu. »

« Tu ne m’en as jamais parlé. »

Elle répondit d’un ton coupant à la sécheresse contenue dans ma voix. « Je ne discute pas des questions de sécurité à moins que la situation ne l’oblige. Vous comprenez cette chose, sur Kivat, habituellement. »

Elle avait raison, bien sur.

Elle continua, plus modérément. « Puisque nous en discutons… toi et moi avons des plans à long terme. Nous voulons tous les deux la même chose. Oui, nous avons encore beaucoup à déterminer, mais je suis confiante. Ta sécurité m’est très importante. Je n’ai aucun doute sur la compétence de tes gardes. Mais ils ne peuvent être comme mes gardes. Je te donne Valérie. Elle est à toi. Il y a des conditions, il y a des obligations, mais c’est sans appel. Elle est à toi, que tu le veuilles ou non. »

Debout avec l’aide de mes béquilles, il n’y avait aucune manière pour moi de me battre. Mais je l’épinglai du regard, la défiant malgré tout, furieux.

Cela ne lui fit aucun effet. Nul doute qu’elle s’y était préparée. « J’ai beaucoup réfléchi, Arkel. J’ai appris que tes gardes avaient tiré quelques minutes avant de savoir que tu étais sauf. J’ai bien compris par ces quelques minutes que tu m’es précieux. Si tu m’en veux, c’est ton problème. Mais je vais te faire une offre. Tu prends Valérie de ton plein gré, avec toutes les responsabilités et obligations, et chacun de ceux qui me doivent allégeance seront libres de partir pour Kivat. Je paierai même une certaine somme pour les aider à faire le voyage, et à s’établir. Si votre doctrine dit vrai, mes cités vont se vider, et je serai ruinée. Que dis-tu? »

Je la connaissais trop bien. Elle ne me ferait pas une telle offre si elle ne pensait pas que l’impact en serait minime. Elle était cependant ce genre de louve qui était si confiante sur certaines choses qu’elle en était parfois aveugle.

« Combien de gens te doivent allégeance? »

« Je règne sur trente millions de personnes. Shavayan est le deuxième monde le plus populeux de l’Empire, après tout. »

« Envoie ton offre à ton monde. Je te fais confiance pour que tous le sachent et soient convaincus de la véracité de cette offre. » Un estimé rapide. Valérie et les autres étaient l’élite, les plus fiables, les mieux endoctrinés. « Si cent mille personnes se prévalent de ton offre, j’ai gagné et tu gardes Valérie. »

Elle me regarda avec une expression indéfinissable… puis s’esclaffa de rire. Cela lui prit un temps avant de se calmer. « Je n’abuserai pas de toi, Arkel. Si mille personnes se prévalent de cette offre, je garderai Valérie. »

« Mais toutes pourront venir sur Kivat, si le nombre dépasse mille personnes? »

Elle hocha de la tête, « à la hauteur de tous mes actifs, moins les passifs, me laissant dans la rue, oui.  Tu vas prendre Valérie avec toi, en attendant. »

« Nous avons un marché, » je lui dis, fort heureux d’avoir dénoué cette situation de manière si habile. J’allais envoyer un message à mon gouvernement leur faisant part de cette offre, et de se préparer à une vague d’immigrants.

Elle alla à son ordinateur et rédigea son décret, me le fit approuver. Et l’envoya.

« Dans environ trois mois, nous devrions avoir des nouvelles. » Le temps de transit des communications était long, mais c’était une chose inévitable.

Trois mois. Un sourire prit place sur mon museau, pas du tout inquiété par son sourire confiant.

Le Loup 8

 

ŠLE CERCLE BDSM 2006