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Le Journal de Jason, Chapître 5

Par Eïnar Pórshöfn

 

Pendues par les seins

Revenu chez moi, il me tarde de retrouver la même expérience où la sensibilité extrême s’allie avec les sensations primitives. Je n’ai nulle envie de revoir Karim, et son univers mental où nus comminions dans la même explosion sensuelle me semble maintenant trop étranger pour m’attirer. N’ayant plus le goût de chercher les consolations d’une nuit du côté des rues chaudes, l’idée me vient de renouer avec Euphémie et Joséphine. Ce sont les seules femmes qui, finalement, ont conservé les pieds sur terre. Maître Tsuno Deshimaru, par sa pédagogie de l’arbitraire assumé, y est sans aucun doute pour quelque chose. Passant un soir dans le quartier de Saint Sulpice où le Maître enseigne le Shibari, je tente ma chance. Elle me sourit. Le maitre est là. Je lui fais part de ma requête : aurait-il les coordonnées de Joséphine ou d’Euphémie ? « Si je les avais, je ne m’autoriserais pas à vous les donner » me répond-il, avant d’ajouter « mais si vous voulez les rencontrer, c’est bien facile : venez au dojo vendredi prochain à 19 heures. » J’ose une question : « Ont-elles repris leur statut d’esclaves de Maître Deshimaru ? » - « Pas le moins du monde. Vous savez d’ailleurs que je ne reprends jamais les esclaves qui me quittent volontairement. Elles restent aussi libres que le jour -vous y étiez- où elles sont parties de leur plein gré. Elles viennent chez moi pour un entraînement périodique. Elles cultivent l’art du vide intérieur en se soumettant volontairement aux exercices de plus en plus douloureux que je leurs propose, et qu’elles acceptent ante factum. Il y a toute une liste dans le répertoire qu’elles ont accepté ; mais elles ignorent dans quel ordre les exercices seront enchaînés. » -

Maître Deshimaru me quitte en me précisant que, si je viens à son dojo vendredi prochain, ce sera en spectateur. « Il ne s’agit pas de quelques coups de fouet, ou de cravache, ou de ligatures un peu serrées. Même les éléments de bondage que je vous ai appris sont insignifiants pour ce qu’elles cherchent. Les exercices dont vous serez le témoin sont dangereux. Compte-tenu de leur complexité, je me les réserve ; il ne peut pas être question que vous y participiez. »

Je suis très impatient de voir à l’œuvre Maître Deshimaru et ses anciennes esclaves dans leur nouveau spectacle. Le vendredi arrive. Contrairement au rituel d’antan, toute mise-en-scène a disparu. Joséphine et Euphémie viennent en tenue de ville, serrent sans cérémonie la main du Maître. La position « à l’ordre », nue, jambes écartées de plus d’un mètre, bras à l’horizontal, paumes vers le plafond, tout ça est oublié. Tsuno leur parle comme un coach familier, sur un ton de conseil. Il semble ne donner aucun ordre formel, mais simplement des indications comme s’il s’agissait d’un exercice d’assouplissement qui se pratique sans effort.

Mais si le ton est celui de la plus grande cordialité, le contenu m’effraye. « Commençons par un petit échauffement : Joséphine, donnez à Euphémie cinquante coup de fouet, vingt-cinq sur le dos entre les omoplates et les mollets, vingt-cinq entre le haut de la poitrine et les genoux ; puis vous inversez les rôles. Euphémie se déshabille et, sans attendre d’explications supplémentaires, se plaque, jambes et bras écartés, sur la croix de saint André, sans être attachée. Durant le supplice, aucun cri, mais simplement un souffle un peu plus haché. Sans avoir à compter à haute voix, spontanément, au terme des vingt-cinq premiers coups, elle se retourne, dos, bras et jambes plaqués sur la croix. Son souffle se fait haletant pendant que la lanière laboure ses chairs. Joséphine n’y va pas de main morte. Mais elle joue du fouet sans agressivité apparente. Lorsqu’Euphémie se décolle du bois, je vois briller çà et là de petites taches de couleur rouge sang frais.

Sans autre explication, Joséphine se déshabille à son tour et remplace Euphémie sur la croix. Euphémie manie le fouet avec la même détermination, s’appliquant à donner à chacun des coups le maximum d’efficacité, c’est-à-dire de douleur. Joséphine ne crie pas plus qu’Euphémie, seule une respiration haletante témoigne de la douleur ressentie. Quelques gouttes de sang frais s’ajoutent sur le bois de la croix.

« Les deux mains tenues sur le trapèze, deux kilos sur chacun des mamelons, accrochés par des pinces crocodiles. Chacune à tour de rôle. Joséphine, vous commencez ? » Sans dire un mot Joséphine se suspend par les mains à la barre du trapèze. Euphémie, d’un geste aussi naturel que si elle enfournait un kilo de pommes de terre dans son sac à provisions, lui accroche un poids en fonte sur le mamelon droit. Crispation de la bouche et gémissements. Puis c’est le tour du mamelon gauche. Petit feulement, suivi d’un râle qui dure quelques secondes. « Lâchez une main » dit Maître Deshimaru, comme il aurait demandé une petite plaquette de beurre à sa crémière. Joséphine obéit. La position est inconfortable, elle est à la fois douloureuse et dangereuse. Le Maître la maintient ainsi durant une bonne minute. Puis il dit : « à votre tour, Euphémie. » Joséphine, libérée, sert Euphémie de la même façon, sans acrimonie.

« Respirez un moment. Les choses sérieuses vont commencer » annonce Tsuno. (Ah, bon, jusque-là, ce n’était pas sérieux ?) Le Maître, gardant son calme habituel, choisit des cordes. À ma grande surprise, ce ne sont pas des cordes très longues. J’en comprends très vite l’usage : elles sont reliées à des sacs très solides, genre sacs de chantier où les ouvriers mettent du sable ou du mortier. « Permettez-moi de vous attacher au palan, dit le Maître, sinon vous risquez de ne pas avoir assez de force dans les mains et les bras pour tenir la charge. » Les deux femmes se laissent faire. Bientôt pendues par les poignets, les pieds à une dizaine de centimètres au-dessus du sol.

Avec beaucoup de soins, Maitre Deshimaru entoure chacun des seins par une corde très serrée à la racine des mamelons. Bientôt quatre sacs pendent, accrochés aux mamelons par les cordes. Je regarde, fasciné, le Maître poser délicatement dans les sacs une gueuse en fonte, puis une autre, puis une troisième. Le poids tire affreusement sur les chairs, les seins violacés deviennent monstrueux. Les deux femmes montrent une atroce douleur, mais sans un cri. Seuls les grimaces des visages et un râle incoercible témoignent de la souffrance des deux suppliciées. Le Maître annonce simplement, comme un constat banal : « Chaque sein supporte vingt kilos. Deux minutes encore dans cette position, puis on souffle. » Deux minutes atroces. Je m’en rends compte à la vue de ces corps tordus, difformes, haletants, qui respirent de plus en plus mal, à la limite de l’asphyxie. Tsuno enlève les poids, desserre doucement les cordes, détache les poignets. « Voulez-vous une tasse de thé ? Un rafraîchissement ? Ou préférez-vous d’abord passer sous la douche ? « Ce n’est pas de refus, répond Joséphine. Je prendrai volontiers un thé après la douche. » - « La douche en même temps, ou après Joséphine ? » demande Tsuno à Euphémie. Un rapide regard de connivence entre les deux femmes, puis elles se dirigent ensemble vers la salle d’eau.

« Voilà une séance étonnante » dis-je à Tsuno Deshimaru. « Ce sont des femmes parfaites, répond le Maître. Nulle menace, les choses vont simplement sans élever la voix, sans violence inutile, sans cri. » - « Elles vont simplement, mais très loin… » - « J’en conviens, répond le maître ; mais je compte bien les faire aller encore plus loin, dès ce soir. » - « La séance n’est donc pas terminée ? » - « Non-pas. Nous n’en sommes qu’à l’entracte. Ce que vous avez vu n’est qu’une préparation, un entraînement orienté vers ce qui va suivre. » - « Je crains le pire. » - « Non, le meilleur » répond Tsuno avec le sourire énigmatique de l’ange qui orne le portail Ouest de la cathédrale de Reims, avant d’ajouter « mais cela demande beaucoup de doigté. »

Euphémie et Joséphine reviennent vêtues d’un kimono léger, heureuses, les traits reposés. Tsuno apporte le thé avec quelques tranches de cake. La conversation roule sur les sensations éprouvées par les deux femmes. « J’ai un peu paniqué en voyant les sacs et les cordes » dit Joséphine. - « Je ne l’ai pas remarqué » répondis-je. « Mais cela n’a pas échappé à Maître Deshimaru » dit Euphémie. « Pas plus que ne m’a échappé votre vaine tentative de soulager vos poignets en tirant sur vos mains, chère Euphémie » ajoute le Maître.

Le thé avalé, Tsuno invite les deux femmes à le rejoindre dans le dojo pour le clou de la soirée. Je suis impatient de découvrir ce qu’il a préparé. « Pendues par les seins » dit-il simplement. Les deux femmes esquissent un mouvement de panique. Leurs visages est un livre ouvert ou se lit en gros caractères une peur sans phrase. Mais aucune protestation ne sort de leurs bouches. Lentement elles enlèvent leurs kimonos et se rapprochent du Maître.

Tsuno fait signe à Joséphine de s’avancer. Avec des gestes d’une rare précision, Maître Tsuno Deshimaru entoure chaque sein avec une corde soigneusement choisie. Chaque mamelon est serré à la base, les deux mamelons reliés par une double corde. La double corde est attachée au crochet du palan. Très lentement, en regardant attentivement le corps de la suppliciée, le Maître fait monter le palan. Spontanément, Joséphine se dresse sur la pointe des pieds pour soulager son corps. Mais un instant vient où tout le poids du corps tire sur les seins. Moment de vérité. Grimace horrible à voir. Le palan monte encore de quelques centimètres. Le corps s’agite. Le Maître observe attentivement. Le palan se lève encore un peu. Puis, dix secondes plus tard qui semblent durer une éternité, le palan redescend lentement. La plante des pieds touche enfin le sol, puis les talons peuvent porter le poids du corps. « Maintenant, Euphémie, si vous le voulez bien… » Le Maître procède avec la même attention délicate. La seule différence -que je ne m’explique pas- est la durée de suspension, beaucoup plus longue pour Euphémie que pour Joséphine : près d’une demi-minute, qui me semble infinie.

La séance terminée, nous partageons tous les quatre une petite collation préparée par Tsuno. « Jason, qu’avez-vous appris ce soir ? » Je réfléchis longtemps, car les images des corps pendus, des seins torturés, des coups de fouet jusqu’au sang, m’encombrent l’esprit. Finalement, pour dire quelque chose, je remarque : « J’ai senti le poids du silence. » - « Pouvez-vous être plus clair ? » - « D’abord votre silence, Maître Deshimaru. Vous n’avez prononcé aucune parole inutile. L’économie de salive est allée jusqu’à dire l’essentiel sans élever la voix. Et puis, bien sûr, le silence de Joséphine et d’Euphémie : aucun cri, aucune supplication. »

Tsuno Deshimaru intervient : « Et pourtant, leurs corps parlaient pour elles. Viendra un moment, si elles poursuivent dans cette voie, où leurs corps eux-mêmes seront aussi silencieux que leurs voix. Grimaces et ahanements auront disparu. » - « Mais vous n’espérez quand-même pas neutraliser chez elles les réactions réflexes. La physiologie a ses lois. Lorsque vous excitez avec l’électricité un muscle de grenouille, même sans tête, le muscle réagit. »

- « Votre exemple, Jason, est pertinent. Une grenouille ayant gardé sa tête réagit d’ailleurs de la même façon à une pulsion électrique. Mais la tête d’un être humain, à la fois plus compliquée et plus sensible que celle d’une grenouille, peut beaucoup plus ; elle peut dominer les réflexes. » - « Vous visez haut, Maître. » - « Non, je vise ce que mes esclaves visent. Souvenez-vous de votre première séance dans ce dojo. Vous aviez été frappé de la réponse de Joséphine à ma question ‘madame, que venez-vous chercher dans ce dojo ?’ Elle avait répondu… » Je le coupe : « Les mots résonnent encore dans ma tête. Joséphine a répondu : ‘je cherche à me libérer de ma volonté propre’ ça m’a tellement frappé que j’ai toujours pensé que c’était là un idéal impossible à atteindre. »

- « Détrompez-vous, la soumission parfaite -puisque c’est de cela qu’il s’agit- suppose que le corps lui-même ne proteste pas, fusse inconsciemment ou par réflexe. C’est sur ce point que nous travaillons, Euphémie, Joséphine et moi. Les exercices qui, ce soir, vous ont surpris, ne sont pas là pour le spectacle mais pour l’apprentissage de cette sagesse. Si le mot ‘sagesse’ vous fait peur, songer simplement à une danse, par exemple au tango. Ceux qui ne maîtrisent pas la technique supposent à tort qu’il y faut une grande concentration et une attention de tous les instants ; alors qu’il s’agit de se laisser porter par la musique comme un bouchon flotte dans le courant du fleuve de la vie. »

 

La suite: le Journal De Jason Chapître 6

 

 

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